Veille juridique en droit social – Barème Macron
Validation du barème d’indemnisation du salarié licencié sans cause réelle et sérieuse par la Cour de cassation
1 | Principe du barème :
L’ordonnance du 22 septembre 2017 a établi, à l’article L. 1235-3 du code du travail, un barème qui détermine l’indemnité que doit verser l’employeur à un salarié lorsqu’il le licencie sans cause réelle et sérieuse, dit « barème macron ».
Ce barème, fixé au regard du salaire du salarié, tient compte de l’ancienneté de ce dernier dans l’entreprise. Le niveau d’indemnisation est strictement encadré : la somme pouvant être versée est soumise à un plancher et à un plafond.
En 2018, le Conseil constitutionnel a déclaré ce barème conforme à la Constitution.
2 | Contexte procédural :
Des salariés et des syndicats ont saisi la justice prud’homale.
Ils ont contesté la conformité du barème à des conventions internationales signées par la France.
Ils ont obtenu de certains juges du fond que le barème soit écarté au cas par cas, au profit de dispositions directement issues de ces conventions internationales et susceptibles de permettre une meilleure indemnisation.
3 | Décisions de la chambre sociale de la Cour de cassation statuant en formation plénière du 11 mai 2022 :
- Le barème d’indemnisation du salarié licencié sans cause réelle et sérieuse n’est pas contraire à l’article 10 de la convention n°158 de l’Organisation internationale du travail:
* Le droit français dissuade de licencier sans cause réelle et sérieuse :
L’article 10 de la Convention n°158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) prévoit qu’en cas de « licenciement injustifié », le juge doit pouvoir ordonner le versement d’une indemnité « adéquate » au salarié.
Selon le Conseil d’administration de l’OIT, l’une des caractéristiques d’une indemnité « adéquate » est que la perspective de son versement dissuade suffisamment l’employeur de licencier sans cause réelle et sérieuse.
Or, lorsqu’un licenciement est sans cause réelle et sérieuse, le code du travail impose au juge d’ordonner d’office à l’employeur de rembourser aux organismes d’assurance-chômage jusqu’à 6 mois d’indemnités.
Ainsi, ce mécanisme tend à dissuader l’employeur de licencier sans cause réelle et sérieuse.
* Le droit français permet une indemnisation raisonnable du licenciement injustifié :
L’article 10 de la Convention de l’OIT vise des licenciements qu’il qualifie d’« injustifiés ».
Cette notion de licenciement « injustifié » correspond, en droit français, au licenciement « sans cause réelle et sérieuse », mais aussi au licenciement « nul » – un licenciement est « nul » s’il est prononcé en violation d’une liberté fondamentale, en lien avec une situation de harcèlement moral ou sexuel, décidé de manière discriminatoire…
Or, l’indemnisation des licenciements nuls n’est pas soumise au barème.
Ainsi, le barème non seulement tient compte de l’ancienneté du salarié et de son niveau de rémunération, mais son application dépend de la gravité de la faute commise par l’employeur.
Au regard de la marge d’appréciation laissée aux États et de l’ensemble des sanctions prévues par le droit français en cas de « licenciement injustifié », la Cour de cassation juge le barème compatible avec l’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT.
- Le juge français ne peut écarter, même au cas par cas, l’application du barème au regard de cette convention internationale:
Il est admis que le juge national peut écarter une norme de droit interne si son application porte une atteinte disproportionnée à un droit fondamental garanti par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.
En matière de licenciement sans cause réelle et sérieuse, un contrôle de conventionnalité in concreto reviendrait pour le juge français à choisir d’écarter le barème au cas par cas, au motif que son application ne permettrait pas de tenir compte des situations personnelles de chaque justiciable et d’attribuer au salarié l’indemnisation « adéquate » à laquelle fait référence l’article 10 de la Convention de l’OIT.
Or, ce contrôle créerait pour les justiciables une incertitude sur la règle de droit applicable, qui serait susceptible de changer en fonction de circonstances individuelles et de leur appréciation par les juges et porterait atteinte au principe d’égalité des citoyens devant la loi, garanti à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789.
La Cour de cassation juge que la détermination du montant réparant le préjudice causé par un licenciement sans cause réelle et sérieuse ne se prête pas à un contrôle de conventionnalité in concreto.
- La loi française ne peut faire l’objet d’un contrôle de conformité à l’article 24 de la Charte sociale européenne, qui n’est pas d’effet direct:
Une convention internationale ratifiée et publiée au journal officiel qui ne nécessite pas que la France prenne des mesures pour la rendre applicable peut être invoquée directement par les particuliers devant le juge national.
L’article 24 de la Charte sociale européenne prévoit que les États signataires s’engagent à reconnaître aux salariés qui ont été licenciés sans motif valable le droit à une indemnité adéquate.
Si les termes de cet article sont proches de ceux employés à l’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT, la Charte sociale européenne repose sur une logique programmatique : elle réclame des États qu’ils traduisent dans leurs textes nationaux les objectifs qu’elle leur fixe.
En outre, le contrôle du respect de cette Charte est confié au seul Comité européen des droits sociaux (CEDS). Si des réclamations peuvent être portées devant cette instance, sa saisine n’a pas de caractère juridictionnel : les décisions qu’elle prend n’ont pas de caractère contraignant en droit français.
Dès lors, la Cour de cassation, énonçant explicitement les critères définissant l’effet direct, juge que les employeurs et les salariés ne peuvent se prévaloir de l’article 24 de la Charte sociale européenne devant le juge en charge de trancher leur litige.